KOUBI-FLOTTE AVOCATS
Avocat à Marseille

LE PLACEMENT D’UNE PERSONNE DANS UNE CAGE À L’OCCASION DE SON PROCÈS CONSTITUE EN LUI-MÊME UN TRAITEMENT INHUMAIN ET DÉGRADANT


16 SEP LE PLACEMENT D’UNE PERSONNE DANS UNE CAGE À L’OCCASION DE SON PROCÈS CONSTITUE EN LUI-MÊME UN TRAITEMENT INHUMAIN ET DÉGRADANT

Arrêt SVINARENKO et SLYADNEV c. Russie (Grande Chambre) du 17 juillet 2014 – Violation de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme

L’enferment de prévenus dans une cage au cours de leur procès constitue en lui-même un traitement inhumain et dégradant contraire aux dispositions de l’article 3 de la Convention et susceptible d’aucune justification

 

 

Les requérants, jugés pour des faits présumés de violence et de banditisme, ont comparu devant leur juges en étant prisonniers dans une cage métallique d’une taille d’environ de 1.5 *2.25 mètres. Ceux-ci ont principalement soutenu devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme que cette manière d’être présentés à la juridiction et au public avait déterminé une insoutenable humiliation constituant une violation de l’article 3 de la Convention prohibant la torture ainsi que toute forme de traitements inhumains et dégradants ; ils ont également estimé que cet encagement avait porté atteinte à leur présomption d’innocence.

 

Sur le fond, la Grande chambre de la Cour a effectivement considéré que ces faits à l’origine de sa saisine justifiaient une reconnaissance de violation des dispositions de l’article 3 de la Convention.

 

L’intérêt juridique principal de cet arrêt de la Grande chambre est d’avoir –fondamentalement- énoncé que le placement d’une personne dans une cage à l’occasion de son procès constituait en lui-même un traitement inhumain et dégradant, constitutif d’une violation des dispositions de l’article 3 de la Convention.

 

Aucune circonstance de fait (circonstance tenant par exemple à la dangerosité des prévenus et aux risques éventuellement attachés)  évoquée par un quelconque gouvernement défendeur ne saurait dès lors être de nature à faire perdre le caractère intrinsèquement inhumain et dégradant d’un tel placement.

 

Voici ci-après rappelés les principaux éléments d’appréciation retenus par la Grande chambre de la Cour pour reconnaître le caractère inhumain et dégradant d’un tel traitement et par conséquent la violation des dispositions de l’article 3 de la Convention :

 

« Enfin, la Cour estime qu’il n’y a pas d’arguments convaincants pour considérer qu’il soit nécessaire de nos jours, dans le cadre d’un procès, d’enfermer un accusé dans une cage (comme il est décrit au paragraphe 125 ci-dessus) pour le contraindre physiquement, empêcher son évasion, remédier à un comportement agité ou agressif de sa part, ou le protéger d’agressions extérieures. Le maintien d’une telle pratique ne peut dès lors guère se concevoir autrement que comme un moyen d’avilir et d’humilier la personne mise en cage. La finalité de l’enfermement d’une personne dans une cage pendant son procès –le rabaisser et l’humilier- apparaît donc clairement.

Dans ces conditions, la Cour conclut que l’enfermement des requérants dans une cage à l’intérieur du prétoire pendant leur procès n’a pu que les plonger dans une détresse d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à leur détention lorsqu’ils comparaissent en justice et que ce traitement a atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 » (§§ 135-136 – soulignements rajoutés).

 

La Grande chambre poursuit son appréciation en indiquant encore, comme une règle générale nouvellement énoncée en matière de comparution devant les Tribunaux et désormais applicable à l’ensemble des Etats membres : « La Cour estime que jamais le recours aux cages (tel que décrit ci-dessus) dans ce contexte ne peut se justifier sur le terrain de l’article 3 (paragraphe 138 ci-dessous), contrairement à ce que le Gouvernement soutient dans ses observations en alléguant une menace pour la sécurité (paraphe 126 ci-dessus). (…) « Indépendamment des circonstances concrètes de l’espèce, la Cour rappelle que le respect de la dignité humaine est au cœur même de la Convention et que l’objet et le but de ce texte, instrument de la protection des êtres humains, appellent à comprendre et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives. C’est pourquoi elle estime que l’enfermement d’une personne dans une cage de métal pendant son procès constitue en soi, compte tenu de son caractère objectivement dégradant, incompatible avec les normes de comportement civilisé qui caractérisent une société démocratique, un affront à la dignité humaine contraire à l’article 3 » (§§ 137- 138 – soulignements rajoutés).

 

 

L’article 3 ne comportant –à la différence des très nombreuses autres dispositions de la Convention protégeant d’autres libertés et droits fondamentaux- la possibilité d’aucune forme d’exception, l’enfermement d’une personne dans une cage à l’occasion de son procès –dès lors qu’il est en lui-même constitutif d’un traitement inhumain et dégradant prohibé- ne saurait jamais être justifié par aucune circonstance.

 

Complémentairement, s’agissant de faits susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention garantissant le droit à un procès équitable, la Cour a retenu que :

 

1. L’exposition des requérants dans une cage posait effectivement problème au regard des dispositions de l’article 6 § 2 de la Convention consacrant le droit au respect de la présomption d’innocence. Si la Cour n’a pas retenu l’existence d’une violation spécifiquement tirée de la méconnaissance de cette disposition, elle a néanmoins admis que la crainte née chez les requérants d’un possible manquement à leur présomption d’innocence était de nature à faire naître chez eux un sentiment participant de la détresse aigüe constitutive de la violation des dispositions de l’article 3 de la Convention ; voici très exactement ci-après les termes retenus par la Cour à ce sujet : « La Cour estime que les requérants devaient avoir des raisons objectives de craindre que leur exposition dans une cage lors des audiences de leur procès ne donnât d’eux à leurs juges, appelés statuer sur des questions touchant à leur responsabilité pénale et à leur liberté, une image négative propre à créer l’impression qu’ils étaient dangereux au point de nécessiter une mesure de contrainte physique aussi extrême et à porter ainsi atteinte à la présomption d’innocence. Cela n’a pu que faire naître en eux des sentiments d’angoisse et de détresse eu égard à la gravité de l’enjeu pour eux de ce procès » (§ 133) ;

 

2. La Cour a enfin reconnu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention garantissant le droit à un procès équitable et tirée de la durée excessive de la procédure ; ce dernier point ne semble appeler toutefois aucune observation particulière.

 

 

Dans cet Arrêt qui concerne la Russie, mais qui aurait pu concerner n’importe quel autre Etat membre autorisant la présence de cages métalliques dans les tribunaux, la Grande chambre de la Cour fixe sa jurisprudence en ce sens que de telles mesures, de par leur nature propre, sont toujours interdites et caractérisent nécessairement ainsi une violation des dispositions de l’article 3 de la Convention ; au regard de l’absence possible d’exception à l’interdiction générale de la torture et des traitements inhumains et dégradants consacrée par l’article 3 de la Convention, aucune circonstance de contexte ne serait de nature à rendre licites de telles pratiques.

 

Il faut reconnaître que la Cour revient dans cet Arrêt à une appréciation plus littérale et plus juste des conditions d’application de l’article 3 de la Convention. Il paraît en effet difficilement compréhensible de considérer –comme la Cour le faisait pourtant auparavant- que des circonstances de fait puissent être appréhendées en amont de la reconnaissance de violation, au point même de déterminer l’existence ou l’absence de la violation en cause !

 

C’est, en effet, que lorsque des circonstances justificatives existent, elles ne sont appréciées et éventuellement admises qu’après que l’ingérence étatique ait été elle-même et préalablement retenue en référence à des critères propres et objectifs.

 

Appréhender l’existence de circonstances justificatives en amont était ainsi tout à la fois illogique et à bien des égards illégal, en ce que ceci équivalait in fine à reconnaître la possibilité d’exemption à un article de la Convention qui n’en prévoit pas !

 

En ce sens, cette jurisprudence, au-delà même du fond, établit une appréciation plus rigoureuse et plus juste des dispositions de l’article 3 de la Convention prohibant toute forme de torture et de traitements inhumains et dégradants.

 

Dans cet arrêt, la Cour rappelle également un élément important s’agissant de la computation des délais : « lorsque la violation alléguée constitue une situation continue contre laquelle il n’y a aucun recours en droit interne, le délai de six mois commence à courir au moment où cette situation continue a pris fin » (§86).

 

Me Pierre-Olivier KOUBI-FLOTTE, Docteur en Droit, Avocat aux Barreaux de Marseille et de Bruxelles.


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